Cendrillon

 

 

 

 




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Extrait du texte sur l'oeuvre de Cendrillon (à télécharger en pdf)
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Azulejos

J’ai considéré la mise en œuvre de ce projet comme un cadre de réflexion, une étape dans ma recherche artistique tout en développant les cours en multimédia avec les étudiants. Les ateliers de céramique à l’École Nationale Supérieure des Arts de Limoges-Aubusson ont motivé ma candidature (professeur en mutimédia), car dans mon histoire personnelle, l’art de l’azulejaria portugaise est une inspiration vivante. Azulejo est le mot portugais qui désigne un carreau de céramique dont la surface est décorée et vitrifiée. Ce matériau pauvre est utilisé comme instrument de valorisation esthétique aussi bien des intérieurs des édifices que des espaces urbains. La sensualité de ces biscuits, réflecteurs de lumière, dont la peinture est expression immédiate, véhicule un goût mauresque pour la surabondance de revêtements décoratifs entiers des espaces, une espèce d’horreur du vide. Dans l’histoire de leurs dessins et de leurs motifs, les sujets exotiques de la culture européenne se mêlent à ceux des cultures arabes et indiennes. J’ai toujours été fascinée par ces visons fantastiques qu’offrait l’exubérance de ces compositions de faïences émaillées en me baladant dans les rues de Pombal ou de Lisbonne, en longeant les immeubles composés de motifs géométriques. En visitant de somptueux palais, il y a des portraits de princes et princesses mis en scène comme des représentations théâtrales. Ces représentations de la noblesse sont aussi singées par des dessins d’animaux, dessins grotesques, traits d’humour. À Lisbonne le palais, Palácio dos Marqueses de Fronteira, construitvers 1665 est décoré d'azulejos hollandais avec des portraits de la noblesse portugaise. Depuis cinq siècles, ces carreaux de faïence polychromes à dominante bleue, sont omniprésents dans l’architecture portugaise. L'écrivain français Pascal Quignard en a dédié un récit "La frontière" en 1992) Ce livre présente un thème récurrent de l’ornementation des jardins: le Bestiaire. Les animaux y travestissent la vie quotidienne, allégories burlesques ou satiriques, présences silencieuses, inquiétantes ou fantastiques, où se mêlent provocations scatologiques, symbolique mystérieuse et paganisme occulte.
Conception / Matrice
: L’idée développée est de transformer un dessin réalisé en infographie, transcodé, qui s’inspire de l’histoire des interfaces des ordinateurs, afin de le transposer en céramique : Matérialiser dans la terre cette conception digitale. Posé au sol, un tapis de carreaux de céramiques, de multiples biscuits de motifs colorés, restitue le portrait d’une princesse couronnée, entre abstraction et figuration. Les dimensions de la pièce sont de 40 carreaux de côté sur 40. Chaque carreau de céramique fait environ 10 cm. Il y a 16 m2 de surface émaillée colorée (1600 carreaux) Je souhaitais réaliser une œuvre en relation avec ma pratique de l’art numérique dans son versus low tech (techniques économiques et populaires, qui peuvent faire appel au recyclage de machines récemment tombées en désuétude) Je suis partie d’une gamme de couleur précise (matrice), limitée à 16 teintes (+ création de 16 motifs en noir et blanc) Cette palette fait référence à celle utilisée des premiers ordinateurs des années 80. La recherche de la couleur et l’obtention de celle-ci après cuisson sur céramique a été le moteur du sens de l’œuvre.
Art traditionnel / art numérique : Le dessin, dans sa forme, est inspiré de l’art ANSI/ASCII (langage codé spécifique) des premiers ordinateurs des années 80 et il est créé sur écran par surfaces de couleurs lumineuses et de pixels et par des choix mathématiques pour les dimensions. Les motifs se confondent par contamination virale et changent de couleur, du fond à la forme, du cadre au fond (boules d’or, dièses, croix, rayures, diagonales…) La composition musicale de carreaux de céramiques dans sa matérialisation physique s’inspire de l’art traditionnel de l’azulejaria portugaise. Il était important dans cette recherche que l’on retrouve la trace de la main, de ce savoir-faire artisanal. Depuis un langage informatique, je souhaitais questionner le temps, considérer chaque geste, comme s’il conjurait l’histoire de la fabrique de l’image. Dans son livre, Ce que sait la main. La culture de l'artisanat, traduction de The Craftsman, 2008, le sociologue américain Richard Sennet propose une définition de l’artisanat beaucoup plus large que celle de « travail manuel spécialisé ». Il soutient que le programmeur informatique, l’artiste, et même le simple parent ou le citoyen font œuvre d’artisans. Ainsi pensé, l’artisanat désigne la tendance foncière de tout homme à soigner son travail et implique une lente acquisition de talents où l’essentiel est de se concentrer sur sa tâche plutôt que sur soi-même.
Les cendres : Le nom choisi, Cendrillon, est une libre interprétation contemporaine du conte populaire de Charles Perrault. À la différence près que l’héroïne ici représentée, l’icône de carreaux de céramique posée au sol, est une métisse. Elle a sans doute voyagé et nous fait part d’une liberté conquise, d’une émancipation du complexe de Cendrillon (tel que l’écrivait l’américaine féministe Colette Dowling dans les années 80) J’ai choisi une forme de candeur et d’indépendance dans le sujet, narratif et obsessionnel. La folie du nombre, la démesure de l’opération ou la mesure du temps, la multiplication des couleurs et l’ordre des motifs dans la grille, étaient des défis qui me semblaient excitants à relever. Avec la complexité des langages d’aujourd’hui, nous sommes, artistes, dans un état perpétuel de décodage, transcodage et résolutions de problématiques ; avec un système (un univers) personnel d’inspirations et une méthodologie éprouvée par nombre d’expériences, d’échecs ou de réussites, parfois trop discrètes. Les conditions de monstrations et de pérennité des œuvres dans l’histoire des femmes artistes me semblent aujourd’hui une donnée majeure, révélatrice de l’évolution (ou non) d’une société contemporaine. Dans le conte, Cendrillon travaillait dans les cendres. Lorsque nous travaillons dans les ateliers de céramique nous travaillons dans les cendres (poussière, kaolin, four…) Ce portrait symbolise ce passage des cendres au trône par la couleur. Cendrillon devient une princesse et dans la réalisation en céramique, elle symbolise la transformation d’une matière recyclée (les « rebus » de pâte) en support de couleur (le carreau de céramique) valorisée par l’attention et le soin apporté sur la manufacture de chaque biscuit. Les pains de terre utilisés sont issus d’une pâte boudinée faite de déchets que jettent les étudiants, ou faite de tout autre rebus, surplus de matière, découpée et non utilisée. Une partie de la production de recyclage pouvait paraître ingrate, laborieuse et fragile, car les carreaux pouvaient se fissurer à la cuisson ou casser lors d’un transport. Précieux étaient les outils, parfois adaptés fabriqués. Le carreau sans faille n’existe pas. Ils sont chacun singuliers, avec un trait plus ou moins adroit de la couleur déposée à main levée sur l’émail.
Identité, avatar, icône
Je m’intéresse aux langages informatiques des années 80 car les arts émergents se font alors par le texte et un langage codé. La contrainte et la limitation (code/couleur) des machines sont perçus par les usagers comme un potentiel créatif. Dans l’art ANSI/ASCII (utilisation de caractère, de signe pour dessiner) on observe des pratiques identitaires collectives car elles sont basées sur la signature, comme des tags digitaux. Dans ces réseaux informatisés, les échanges se font par des messages personnalisés sous la forme de dessins. Ces formes artistiques sont des signatures, des gestes qui permettent de s’identifier et de se faire reconnaître sur le réseau. Dans mon travail artistique et de dessin (Les incognitos), je fais référence à ces personas de réseau, avatars, identités fictives ou réelles, qui sont des potentiels d’anonymats, ou de pseudonymes, de la personne en ligne, caractéristiques d’une appartenance à un folklore de réseau. Une reconnaissance réciproque émerge du tissage de cette sémiose culturelle. Un des motifs est l’émoticône (dérivée de l’icône) En 2005, j’ai publié un catalogue (Iconorama, ESBA Angers) sur l’histoire des premières interfaces utilisateurs graphiques (GUI) avec la création de nouvelles icônes. Cette recherche pédagogique avait pour but d’analyser la fabrique d’image de l’icône, l’iconoclasme, l’aniconisme jusqu’à la formation de nos icônes miniaturisées du bureau de notre ordinateur. Le dessin de Cendrillon est une icône composée de multiples icônes. Cette cryptographie de signes est perçue dans son ensemble par une lecture cognitive : vibrations par combinaisons de motifs de couleurs juxtaposées les unes aux autres. Comme le dit l’artiste peintre britannique Bridget Riley le "principe fondamental de la couleur c’est son instabilité car on ne voit jamais une couleur isolément". Le jeu que propose Cendrillon est cette simultanéité des couleurs peintes à la main déposées simplement dans un quadrillage hypnotique. Les biscuits sont ordonnés sur un grand plateau. Le sens qu’à prit l’élaboration de Cendrillon est de l’ordre du conte de fée, de la magie. Lorsque je suis passée à la mise en œuvre, devant les fours, dans les cendres, il devenait évident que l’œuvre venait de la terre et renaissait de ses cendres.
Oiseau Phénix.

(SM - 10 mai 2010)




 

 

 

 


© Sonia Marques - 2011