Hypercolor

 

 

 



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Extrait de texte des recherches 1998-2002 :


Contexte (du lat. contexere, tisser ensemble) Hypercolor est un contexte, un tout tissu, des textes tissés ensemble. Mais ce travail est lui-même extrait d'un contexte, de mon quotidien. Chaque texte est un îlot de certitudes paradoxales au milieu d'un océan de désaccords et de conflits. Le premier texte se nomme "tissu textuel", il annonce les couleurs.
Synaestesia Hypercolor est synesthésique. Le mot "synesthésie" (synaesthesia) vient du grec "syn" (ensemble) et "aisthesis" (perception). Ainsi, littéralement, c'est une conjonction de sensations. Le neurologue américain Richerd Cytowic a posé 5 critères pour la perception synesthésique :
- Les sensations sont involontaires et automatiques, c'est une expérience passive et constante qui ne peut pas être supprimée ou inhibée par la volonté, même si son intensité peut varier selon la situation. La sensation est toujours provoquée par un stimulus identifié sans difficulté.
-Les sensations sont projetées dans l'environnement, les images synesthétiques apparaissent spatialement, ce qui signifie qu'elles ont souvent une position définie dans l'espace. Elles sont perçues de manière externe dans l'espace péri-personnel (immédiatement entourant le corps). En entendant un mot, une personne perçoit par exemple des lettres colorées qui déambulent devant elle comme sur un écran.
- Les sensations sont durables et génériques, les perceptions synesthétiques sont consistantes. Durable signifie qu'elles ne changent pas avec le temps, mais par exemple chaque fois qu'on entend une sonnette on "voit" la couleur rouge. Générique signifie que la perception n'est pas élaborée ou picturale. En écoutant Beethoven, on pourrait s'imaginer un paysage pastoral, mais la perception d'un synesthète reste non-élaborée: il perçoit des lignes, des spirales, des blocs, des formes de grille...
- Les sensations sont mémorables, les perceptions synesthétiques ont une charge émotionnelle. Souvent elles sont l'aspect le mieux mémorisé de quelque chose. Par exemple il pourrait être plus facile de se souvenir que le nom d'une personne est rouge que du nom lui-même. Le neurologue russe Lurija a pour première fois fait l'association entre synesthésie et hypermnésie.

Kevin Dann ajoute deux autres critères :
- La synesthésie n'est pas linguistique, et en quelque sorte ineffable
- la synesthésie concerne des personnes ayant un cerveau ne présentant aucun signe de maladie.

Dans mon travail "Extase" (Diaporama de paysages colorés avec un son répétitif, "Island", qui accentue la contemplation, fascination de ces grands espaces en montagne) nommé ainsi sans connaître la portée de la synesthésie dans mon travail, il y a des échos avec cette synethésie écrite par un scientifique. Ces apparitions de paysages sonores et colorés sont des environnements immersifs. Richard Cytowic a écrit un bon nombre d'articles en anglais, j'ai relevé quelques phrases éclairant le sujet, pour "Hypercolor" :

"Le mot synesthesie qui signifie "les sensations liées", partage une racine avec l'anesthésie, signifiant "aucune sensation." Il indique la rare capacité d'entendre les couleurs, en forme de goût, ou d'éprouver également de surprenants mélanges sensoriels dont la qualité semble difficile pour la plupart d'entre nous d'imaginer".

"Puisque nos bagages intellectuels incluent des idées historiques profondément imprégnées de concepts normatifs, la synesthesie, non seulement brise les lois conventionnelles de la neuroanatomie et de la psychologie, mais semble faire grincer même le bon sens."

"La synesthésie a été médicamentée pendant presque trois cents années. Après le pic d'intérêt entre 1860 et 1930, elle a été oubliée, restant inexpliqué non pas par faute d'essayer, mais simplement parce que la psychologie et la neurologie étaient des sciences prématurées"

"Vasilly Kandinsky (1866-1944) avait peut-être la sympathie la plus profonde pour la fusion sensorielle synesthetique comme une idée artistique. Il a exploré la relation harmonieuse entre le son et la couleur et utilisé les termes musicaux pour décrire ses tableaux, les appelant les "compositions" et "les improvisations."

"La synesthésie est l'émotion. L'expérience accompagnée d'un sens de certitude (le "ceci est cela" se sentant) et d'une conviction que ce que n'importe quel synesthète perçoit est vrai et valide. Ce sentiment procure de l'extase. L'extase est n'importe quelle passion par laquelle les pensées sont absorbées et dans laquelle l'esprit est pour un temps perdu. Dans "Les Variétés d'Expérience Religieuse", William James a parlé de l'extase rassemblant les quatre qualités, l'ineffable, la passivité, la noesis, et le caractère éphémère. Ces mêmes qualités sont partagées par la synesthésie".

"La Noetic est un mot rarement utilisé qui vient du 'nous' grec, signifiant l'intellect ou la compréhension. Il apporte au monde la connaissance et la connaissance de moyens qui est directement éprouvée, une illumination qui est accompagnée d'un sentiment de certitude. James a parlé du "sens de de vérité de la Noetic " et le sens d'autorité que ces états donnent. Bien que si similaire aux états des sentiments, les états mystiques, pour ceux qui les éprouvent, peuvent être aussi des états de connaissance. Ils sont des états de perspicacité dans les profondeurs de vérité par l'intellect décousu. Ils sont des illuminations, des révélations, pleines de signification et d'importance, bien qu'ils restent tout inarticulés ; et en règle générale ils portent avec eux un sens curieux d'autorité pour l'après-temps."

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Notes en 2011 :
Lorsque je faisais ces recherches (1999-2002) on ne trouvait rien en français sur ce terme. Ainsi je traduisais de l'anglais les recherches américaines diffusées. Aujourd'hui, on peut trouver les traductions et avec Wikipédia, les dédinitions ont été accessibles en langue française :
"Elle fut "redécouverte" dans les années 1980, et popularisée par les tendances "New Age" anti-rationalistes avant de redevenir un objet scientifique "sérieux" depuis quelques années"
"Les synesthètes rapportent souvent qu'ils ne savaient même pas que leur synesthésie était inhabituelle jusqu'à ce qu'ils réalisent que la plupart des gens n'expérimentaient pas les mêmes sensations qu'eux. D'autres synesthètes avouent avoir gardé leur synesthésie secrète toute leur vie, de peur d'être incompris ou tournés en ridicule. La nature automatique et ineffable de la synesthésie montre bien que cette association de sens semble tout à fait ordinaire pour le synesthète. Le fait que la synesthésie soit involontaire et consistante montre que celle-ci est une expérience réelle."
(Phrase de la définition dans l'encyclopédie Wikipédia à ce sujet en 2011, la version anglaise est plus riche)

Je rencontrais plus de personnes ici, en France, qui étaient indifférentes ou allergiques à la couleur, que de personnes qui vivaient la sensation de la couleur, sans émettre de préjugés ou de complexes, même dans les milieux artistiques, allant jusqu'à la supprimer de leurs réalisations, soit ne sachant pas la 'gérer', soit, qu'elle n'avait aucune valeur, aucun sens à leur yeux. Dans les formations artistiques des écoles des beaux-arts, il est presque devenu 'normal', que manquent professeurs ou artistes sur cette étude, tandis que le dessin (sans la couleur) est devenu prioritaire. J'ai souvent rencontré des ensembles de productions d'étudiants, sans couleurs, dans les écoles d'art ou des équipes pédagogiques la niant, par méconnaissance, lorsqu'ils se retrouvaient devant des réalisations mêmes de qualité. Elle arrive en dernier lieu, le plus souvent comme 'décor' dans un sens péjoratif et non dans le sens noble du terme et ne fait pas partie des concepts moteurs des projets. Ainsi nombre d'oeuvres artistiques passent inaperçues dans cette aculture, tandis que les domaines du graphisme et de l'illustration ont gardé cette liberté, quasi 'sauvage', que l'on retrouve dans le graffiti (dont le médium, les outils principaux sont "des bombes de couleurs") J'ai étudié de plus près cette phobie de la couleur, avec celles et ceux qui les utilisaient comme médium, les peintres, sérigraphes, décorateurs, tapissiers, graphistes, jusqu'aux designers et artistes qui utilisent la possibilité presque illimitée des palettes sur le Web, des couleurs à l'écran. Le livre "La peur de la couleur"de David Batchelor (aux éditions Autrement, en 2000, du titre original en anglais : Chromophobia) décrit cette culture occidentale qui a tendance à marginaliser la couleur (quatrième de couverture du livre) :
"La haine de la couleur, la peur de la perversion ou de la contamination par la couleur s'inscrivent au coeur de la culture occidentale depuis l'Antiquité. Cela transparaît dans les nombreuses tentatives visant à éliminer la couleur des arts plastiques, de la littérature et de l'architecture, soit en (assimilant à un "corps étranger" - oriental, féminin, infantile, vulgaire, pathologique -, soit en la reléguant au domaine du superficiel, du superflu ou du cosmétique. Dans son essai, David Batchelor - artiste, écrivain et directeur d'études au Royal College of Art de Londres - analyse l'histoire de la "chromophobie" et ce qui se cache derrière ce phénomène depuis ses origines, au travers d'exemples empruntés à la littérature, à l'architecture et au cinéma. En explorant des thèmes aussi votés que La Baleine blanche de Melville, Le Voyage d'Orient Le Corbusier, Le Magicien d'Oz ou des expériences d'artistes contemporains, l'auteur montre comment la couleur s'inscrit, par défaut, dans l’imaginaire culturel occidental."
Un autre livre "Psychologie de la couleur" par Eva Heller, auteure allemande d'ouvrages de littérature et de sciences humaines (aux éditions françaises Pyramid, en 2009) présente une étude réalisée auprès de 2000 personnes, un recueil d'informations historiques, sociales, politiques et stylistiques sur les couleurs.
On entend souvent l'expression "savoir marier les couleurs" dans les manuels de décorations d'intérieur. Du côté de la mode il y a Li Edelkoort qui est une professionnelle de la couleur, artiste néerlandaise, avant-gardiste, qui prévoit les tendances, anticipe l'avenir de la mode et ses tendances. Directrice artistique du magazine "View on colour" et présidente de la Design Academy, à Eindhoven, aux Pays-Bas, l'enseignement ici, de la couleur, se transmet, dans le design. Prêtresse de la couleur faisant confiance à son intuition et d'une sérieuse connaisance du marché, elle a su tirer profit de ses qualités dans le domaine du design, ou ses organisations sont devenues incontournables. Les bureaux, Trend Union / Studio Edelkoort, sont basés à Paris.
C'est en rencontrant le travail d'une étudiante à l'école supérieure des beaux-arts de Toulouse (invitée pour un workshop que j'ai orienté sur la cartographie en 2011) basé sur des protocoles de spacialisations ou sur des associations de nombres et de couleurs, qu'il m'a semblé important de partager quelques informations sur la synesthésie, les synesthètes, les artistes ayant des méthodes et des réalisations dans ces contrées magiques. La science s'est appropriée une analyse quasi froide de l'objet d'étude non identifié, tandis que des artistes, sans le savoir, opèrent en toutes synesthésies, empruntant leur OVNI sans déposer de brevet, rencontrant des incompréhensions, mais le plus souvent, des extases et des formes d'évidences dans la pratique artistique individuelle.



 

 

 

 


© Sonia Marques - 2011