Mouvance



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Mouvance
/ Série de dessins / 2015-2014

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Mouvance / Série de dessins / 2015-2014 / 60 x 80 cm

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J'ai réalisé une série de dessins de couleurs avec une grande part de hasard mais aussi de maîtrise technique et d'improvisation infographique en déjouant les règles de la représentation induite par les logiciels de tracé ou de photographie. À ce titre, la main, mon désir de voyage à travers l'image, la traversant de part et d'autre fut la conductrice. Le moteur fut les associations de couleurs que mon imaginaire et mon expérience, ma mémoire travaillaient de concert.

Je ne peux jamais expliquer à postériori comment sont apparues ces formes, hormis le fait qu'elles proviennent de mon imaginaire. Cela ne suffit pas à rechercher d'où cet imaginaire puise ses fondements. Je tente une exploration des motivations, ou de la volonté de matérialiser quelque chose de fluide, en moi.

Fluide : premier mot qui vient. Dans ce qui coule de source, il peut y avoir un élément fédérateur, l'eau. Dans ce que je dessine, c'est sur une surface, et ce qui arrive à la surface du dessin sont ces formes qui nagent sur l'eau, des parties émergées. La circulation n'est sentie qu'à partir de l'auteure, celle qui fait. Et ce que je fais est fluide, circule et les couleurs se mélangent, puis, se séparent. Dans cette séparation, il y a des îlots de formes, comme des puzzles, qui naguère, s'emboîtaient pour ne former qu'une unité. Cette unité disparue devient une fragmentation douce qui décèle parfois un visage. Et le visage ne fait que s'envisager. Il n'est pas fixe, mais mouvant.

Mouvement : deuxième mot qui arrive comme l'expression de l'émouvant. Se mouvoir, et l'émotion des visages se forme et se déforme. Ce sont des animations et la couleur joue en faveur de l'animé. Les surfaces se décollent d'un fond de dégradés. - Est-ce des matinées de levers de soleil ou des couchers de soleil, des arc-en-ciel ?

Ciel : troisième mot. Il est évident que ma source d'inspiration première est le ciel. Son étendue, ses variations climatiques, le spectre coloré et la présence ou la dissipation des nuages. Curieusement ces dessins qui arrivent avec l'eau, un élément attaché à la terre, me font passer directement à l'air, au ciel et au souffle.

Le souffle : dernier mot, car ils sont bien soufflés par une personne ces dessins. Chaque portrait porte l'énergie d'un souffle, d'une expression. Expressifs, calmes et évolutifs, je ne peux attraper mon imaginaire, ni le fixer, mais dessiner des états, passagers.

Les rêves de vol, mes observations d'animaux volants, la liberté de tracer des gestes dans le ciel, la sensation d'une légèreté éprouvée, qui rassure, qui protège et cette ouverture gigantesque qui nous domine. Toutes ces notions gravitent certainement lorsque je dessine. Le découpage, comme des papiers légers, l'arbitraire de la découpe, la contradiction des entailles, le plein et le vide, les ombres et les reflets, tout est décalé, paraissant désaccordé, sans académisme (une forme et son ombre, un reflet avec la direction de la lumière) et pourtant le dessin est cohérent, de mon point de vue.

Ce qui m'importe dans le hasard des formes et la fluidité des couleurs, c'est de maîtriser ensuite leur découpe, très finement et d'accepter tous leurs défauts, d'en faire des qualités, des qualités pour que le regard s'ouvre à de nouvelles nuances. Afin que le regard nuance sa pensée.

Il n'y a pas d'à priori sur le final. Je ne me dis pas, je vais faire quelque chose de joyeux, coloré. Il en est que l'on peut dire, une fois abouti, que tel dessin est joyeux, frais, ou qu'un carnaval se prépare, une fête, des cerfs volants sont dans le ciel et se laissent porter par le vent. Mais je ne pense pas du tout à tout cela. Et pourtant pour certains, l'un d'eux même, je le regarde comme l'expression d'un sentiment de résignation, dans des tons chauds, d'automne, car je perçois le geste entropique. Celui-ci est plus engagé, car il m'inspire l'incertitude. De la glue verte presque fluorescente, dans un semblant de nez, au milieu d'un visage constitué de feuilles... Si je m'attarde sur l'un, il raconte une histoire. L'arbre transforme la lumière du soleil en énergie et en automne, il y a moins de lumière, il commence à faire froid, les feuilles ne fabriquent plus de nourriture pour l'arbre, les feuillent se dessèchent, fragiles elle tombent, tandis que l'arbre passera l'hiver au ralenti. Pour ce dessin, il figure le ralentit, car il manifeste en lui ces transformations. Il s'apprête à tomber. Il semble se désaisir de lui-même, de ses peaux.

Lorsque je dessine, je pense et je suis des gestes, je rêve d'amplitude, d'altitude, de diffusion, dispersion, de mélanges, et aussi de rassemblement de toutes les hétérogénéités produites. Mes gammes colorées sont les secrets de ma mémoire, de mon expérience de synesthète, et c'est un vrai plaisir de composer.

Composer des dessins, chaque dessin serait le concert, depuis une partition unique.

Pour que la surface apparaisse, il existe une source, dans la profondeur, qui connaît l'obscurité. Je pense souvent aux nénuphars, au lotus, cette fleur qui naît dans les eaux troubles. Ce sont ces images qui motivent l'expression de ces dessins mais surtout, plus finement, des expressions à visage humain.


"L'être volant, en son rêve même, se déclare l'inventeur de son vol."
> G. Bachelard, L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement. (1943)

 

"Nous aurons encore, en étudiant le rêve de vol, une nouvelle preuve que la psychologie de l'imagination ne peut être développée avec des formes statiques, elle doit s'instruire sur des formes en voie de déformation, en attachant beaucoup d'importance aux principes dynamiques de la déformation. La psychologie de l'élément aérien est la moins «atomique» de toutes les quatre psychologies qui étudient l'imagination matérielle. Elle est essentiellement vectorielle. Essentiellement, toute image aérienne a un avenir, elle a un vecteur d'envol"
> G. Bachelard, L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement. (1943)

 

Si Gaston Bachelard avait présagé que des dessins vectoriels existeraient pour illustrer son propos, je souhaiterai m'entretenir avec lui sur ce sujet. La phénoménologie étant un domaine qui donne des échos rationnels à mes dessins sans raison, ou plutôt, une explication scientifique louable, éphémère peut-être, le temps que le siècle se passe.

Les rêves de vol laisseraient des traces profondes dans la vie éveillée.

 

Sur la contemplation :


"Ensuite la contemplation — étrange puissance de l'âme humaine capable de ressusciter ses rêveries, de recommencer ses rêves, de reconstituer, malgré les accidents de la vie sensible, sa vie imaginaire. La contemplation unit encore plus de souvenirs que de sensations. Elle est plus encore histoire que spectacle. Quand on croit contempler un spectacle prodigieux de richesse, c'est qu'on l'enrichit avec les souvenirs les plus divers. Enfin la représentation. C'est alors qu'interviennent les tâches de l'imagination des formes, avec la réflexion sur les formes reconnues, avec la mémoire, cette fois fidèle et bien définie, des formes caressées."
> G. Bachelard, L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement. (1943)

 

Ils sont là tous petits, mais ces dessins sont créés pour être (très) grands. Des flaques d'eau géantes...

 

 

 


© Sonia Marques - 2016