Peinture
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Journal d'une pie (extrait)
Je ne dormais qu'un seul œil. Je parvenais toujours à trouver un petit endroit pour dormir, personne ne peut savoir où. Il pleut beaucoup et il fait froid, les journées sont quasi funestes, le sommeil m'est indispensable, il restaure mon organisme, et assure le bon fonctionnement de mon cerveau. Je suis encore jeune, cela favorise aussi ma croissance, j'apprends toujours tant de choses, en ce moment, je découvre l'hiver et les autres animaux, les rivières et les nids à découvert, les corniches, les creux où s'abriter, les arbres touffus qui n'ont pas perdu de feuilles les conifères évidemment. Mon stress se réduit en dormant. Pour l'assurer, je me dois de rechercher la meilleure place pour ma nuit, très loin des prédateurs. Je ne dors que d'un œil, une partie de mon cerveau reste aux aguets. Nous avons, une petite singularité, chaque œil ne communique qu’avec une moitié du cerveau. Notre sommeil est hémisphérique unilatéral. Je repose une moitié de mon cerveau, puis l’autre afin de surveiller les alentours et réagir vite en cas de danger. En équilibre sur un fil, une branche, un rien du tout. Funambule, je suis, je reste, agile et fugace, mais tenace sur mes pattes qui tiennent bon. Mes tendons fléchisseurs bloquent les serres en position fermée lorsque je m'endors. C'est un peu l'inverse des êtres humain, autant serrer un objet leurs demande un effort, autant nous, aucun. Lâcher un objet, demande aux êtres humains un lâcher prise sans aucun effort, autant, nous pour lâcher, c'est un effort, si bien que nous serrons bien fort. Je ne peux pas tomber, car mes serres me retiennent.
La nuit soudainement encombre toute la nature, le silence se fait entendre. Tous les oiseaux se taisent, ou presque, on peut entendre les nocturnes, un hiboux par exemple. Juste avant la nuit, je me lisse les plumes et je chante avec mes amies les pies. Je suis déjà à l'abri des prédateurs.
Nous sommes homéothermes. La température de mon corps est constante. Mes plumes gardent emprisonnée la chaleur, elle ne s'échappe pas, elles sont formidables. La période de mue cet été que j'ai connue, favorisait la pousse de superbes plumes dont je prenais soin de les étoffer pour l'hiver. J’ébouriffe mes plumes avant de dormir, j'en ai peut-être plus de mille mais qui les a comptées ? Cela n'existe pas les chiffres chez nous ! Mes plumes sont inertes, elles ne possèdent ni vaisseaux sanguins, ni peau, ne dissipent pas la chaleur de mon corps. Au contraire, elles forment une barrière qui emprisonne la chaleur près de ma peau. Ma tutrice me disait que c'était donc un effet proche de celui lorsqu'elle dormait sous une couette de plumes, ou portant un duvet sur le dos. Sous mon épiderme il y a une zone de stockage de mes graisses, ce qui donne une fonction isolante. Mais je disais à ma tutrice, que je ne connais pas la sudation. Il m'est arrivé de la voir transpirer, ces jours-ci, elle a attrapé un bon rhume, nous, nous sommes dépourvues de glandes sudoripares. À mon tour de la réchauffer sous mon aile. J'avais ce petit chapeau de pluie, assez décoiffée, ma tutrice complètement mouillée, car je n'aime pas les parapluies, mes copines les autres pies sommes là avec elle afin de papoter un peu. Parfois une lumière singulière dorée et rosée apparait lors de nos échanges, puis l'atmosphère lugubre reprend son décor tamisé de bas résilles noirs , sur un sol de flaques d'eau grises et argileuses, et nous disparaissons toutes, les pies, ma tutrice... et moi.
J'ai parfumé ma couche De myrrhe, d'aloès et de cinnamone.
Je serre bien fort.
Je m'endors.
Photographies © Sonia Marques
Photographie de la crèche limousine en orfèvrerie émaillée réalisée par les artistes Léa Sham's
et Alain Duban. Elle représente 9 saints vénérés en limousin.
Animal
Hiver
Oiseau
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Photographie © Sonia Marques
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Journal d'une pie (extrait)
La transformation s'est réalisée. Je suis devenue le chat. Le chat est devenu la pie. Je suis revenue, au chaud, je suis la pie-chat.La magie de Noël se saupoudre dans la ville, les êtres humains ont travaillé pour allumer de petites lumières.
Je regarde la télévision pour chat, et je suis subjuguée par des écureuils et des oiseaux incroyables. Ils habitent aussi la forêt, là d'où je viens. Ils aiment les noix et les graines, je suis très impressionnée, moi la pie-chat.
Mes yeux de chat sont hypnotisés.
Les arbres sont désolés, leurs feuilles sont tombées pour la plupart, là où j'ai fait mes premiers pas-pattes, sur ces branches, me nettoyant le bec. Ils sont désolés et nous aussi. Lugubres espaces dénués de lumière, la nuit arrive si vite qu'elle tire le rideau seule, sans nous le dire. Il faut se dépêcher de s'abriter, on ne voit plus rien le soir vers les cinq heures.
Je suis si heureuse de connaître cette saison si froide, les nuits sont glacées, je deviens boule de plumes, noire et énorme. Je ne pensais pas vivre jusqu'ici, quand d'autres souhaitaient me tuer.
Que c'est beau l'hiver qui arrive, je pensais ne pas réussir à l'habiter, c'est lui qui me prend par la main, il me souffle son air divin, si pur, et si vivifiant. Comme ma tutrice est courageuse, comme je le suis bien plus.
Mes amies les autres pies sont au complet, chacune la reconnaît, elle les reconnaît.
Les jardiniers sont toujours à la tâche.
De nombreux oiseaux sont là, des jeunes, si jeunes, à la tombée de la nuit, c'est un ballet merveilleux de choses ailées noires et malicieuses, de sons si différents, délicats et raffinés.
Les entendre suffit à voir les étincelles d'une vie que l'on pensait morte. Une vie habitante, une vie multiple et incarnée dans des notes de musiques surprenantes, un kaléidoscope improvisé, fermons les yeux.
Chaque sonorité semble s'enfuir, chaque oiseau tire son épingle du jeu. Tout n'est que fugue et fugue, tous s'en vont, et lorsque les yeux s'ouvrent, tout est parti.L'hiver est bien là, implacable, sans possible retour en arrière.
Avance !
Le matin, dans la brume, le sol est humide et gelé, nous aimons sautiller dessus, picorer partout, toute cette moquette est pour nous, personne, aucune âme. Ma tutrice nous observe et sait à présent tous nos vols, lorsque nous survolons la rivière, lorsque nous arrivons, à vol d'oiseau tout est si proche. À pieds, les êtres humains ne peuvent voir toute notre cartographie, on s'appelle, on crie, on est heureuse, on est une seule chose et toutes à la fois. Notre corps s'éparpille dans les milliers d'autres volant. On fait ci, on fait ça, et, on ne sait pas qui on est. Nous savons, nous, qui sommes nous.
Toutes ensembles, nous regardons les grues, leur forme en V, leurs cris, elles sont si belles, les cendrées.
Les arbres sont désolés, ils se sont lestés de toutes leurs feuilles, tout ce qui les encombrait.
Comme nous tous, nous laissons mourir ce dont nous n'avons plus besoin.
Ces poids encombrants, ces regrets épais, ces remords trop forts, ces entailles et épines dans le cœur.
Nous nous séparons de tout cela, nous avons déjà enterré ces fardeaux et avons célébré leurs expériences, leurs doux accompagnements et fâcheux doutes depuis ce début de l'année.
Viens petite gloire, tente de hisser ton pavillon modeste.
Laisse ta voile faire le reste, et glisse moussaillon, vers la fin de l'année, illumine un peu ton chemin, et tous tes cailloux, jusqu'ici clairsemés.
Que tes pierres grises et opalines se transforment en mousses vertes de coton.Nous sommes désolés.
La froideur a désertifié les terres, la chaleur humaine se fait plus précieuse, si rare, les cœurs sont serrés, les larmes tombent au goutte à goutte. Ici ou là, on éponge, ici ou là on calfeutre les fenêtres, ici ou là, on se pare de couvertures, ici ou là, on se réchauffe comme on peut, ici ou là, on n'ose pas se plaindre.
Ma tutrice cherche ma mère et mon père. Du chat ou de la pie ? Et d'elle ? D'ailes ?
Je suis entrée à pas feutrés dans une âme féline, afin de faire mes griffes dans l'arbre de la vie.Sous un sapin, je rêvais passer l'hiver dans un foyer.
La cheminée des fées.
J'ai cheminé jusqu'à toi.
Merci de nous avoir pris sous ton aile.