Contemplations (série)
Aurora (extraits)
Polar (extraits) Honolulu (extraits) J’avais réunis nombre de documents sur les aurores boréales depuis un certain temps. Ce phénomène lumineux dans un ciel nocturne est assez magique : des voiles colorés en puissance, poudrés, tombent, d’ailleurs je ne sais comment, car, je n’ai pas eu la chance d’en observer autrement que par des images scientifiques. Ces aurores, appelées aussi « aurores polaires » se manifestent autours des pôles (Groenland, Laponie, Alaska, Antarctique, Canada, Islande, Norvège) Le soleil est à l’origine des aurores boréales. Lors de grandes explosions ou éruptions solaires, de grandes quantités de particules sont projetées dans l’espace par le soleil. Lorsqu’elles entrent en collision avec le champ magnétique de la Terre, elles sont dirigées en un cercle autour du pôle Nord magnétique, où elles interagissent avec les couches supérieures de l’atmosphère. L’énergie ainsi libérée donne les aurores boréales. Ce spectacle coloré provient de deux gaz, l'azote et l'oxygène. L'azote donne des couleurs bleues et rouges et l'oxygène des teintes vertes et rouges. Notre atmosphère, principalement constituée d'azote (environ 80 %) et d'oxygène, nous offre généralement des spectacles visuels de couleur rouge pouvant donner l'impression d'un ciel en feu. Les aurores polaires sont parfois douces et lentes, mais également rapides. Ces mouvements représentent les formes connues de l’arc qui deviendra une bande ou un rideau, puis montant vers le zénith, la couronne aura une silhouette d’homme ou une forme d’oiseau. Elles ont animé beaucoup de croyances, des Inuits aux astronomes… Mes documents m’ont servi à alimenter un imaginaire, lui-même alimenté par des lectures en philosophie. Je lisais « l’innocence et la méchanceté » de Vladimir Jankélévitch (traité des vertus tome 3) avec les entités développées du mal, qui se manifeste par la faute, de la méchanceté, de l’égoïsme, du mensonge, de la mesquinerie, de la vanité, de la haine, de la mauvaise volonté, du mépris… et également, à l’inverse : l’amour pur, la générosité, la bonté… J'écoutais de longues compositions minimalistes des années 70 de Terry Riley. Et puis, je suis passée à la récréation, à ma libre interprétation de ces plages de méditation. - Comment l’esprit synthétise, après un moment de méditation, à travers la création, et comment celle-ci n’en demeure pas moins, sur les choses qu’elle observe, de la contemplation ? J’ai réalisé une série cosmique qui s’inspire des aurores boréales mais aussi de planètes et d’étoiles. Ces images infographiques ont subi des sorts selon l’état de mon imaginaire et il était guidé par plusieurs lectures et visions, notamment celles du changement climatique, écologique et des croyances mystiques. D’un paysage harmonieux et plutôt statique composés de planètes et de transparences lumineuse et étoilées, je lui ai fait subir des transformations considérables en accompagnant sa dislocation, son possible chaos, jusqu’à produire des peintures et des matières étalées mais encore rassemblées en îlots, en « patates », en grands ensembles. Leur exercice étant de garder leur cohérence, avec des manifestations tachetées. Les pastels et les couleurs vives forment des champs contradictoires, jetés dans un contraste éblouissant, comme éclairés en négatif, (pour « Honolulu ») mais néanmoins doux. Voici pour la picturalité. Je travaille les images dans leur matière et les associations de couleur et de mouvement, jusqu’à obtenir le maximum d’inattendu dans ma pratique et fixer un instant dans ces transformations, arrêter un geste dirigé par un esprit concentré, mais aussi extasié. La distance et le temps font le reste. Je me suis dit que j’étais dans un état de contemplation et que ces réalisations en étaient le simple résultat. J’ai lu que la contemplation (théôria, de Théa : déesse, et oraô : voir), pour la plupart des philosophes grecs (Platon), désigne une attitude de connaissance qui permet à l'être humain de se libérer d'une condition commune d'esclavage du sensible, des désirs et des opinions, et d'atteindre ainsi la perfection de sa nature et l'autarcie qui en résulte. La contemplation serait à la fois connaissance suprême, maîtrise de soi, vision directe des réalités célestes et proximité ou contact avec le divin. De mon point de vue, justement, c’était lié à la joie et j’aime assez cette phrase « nous sommes des petites joies » de Gilles Deleuze (extrait du cours du 17 mars 1987 à l'université de Vincennes) : « Voilà exactement ce que nous dit Plotin : toute chose se réjouit, toute chose se réjouit d'elle-même, et elle se réjouit d'elle-même parce qu'elle contemple l'autre. Vous voyez, non pas parce qu'elle se réjouit d'elle-même. Toute chose se réjouit parce qu'elle contemple l'autre. Toute chose est une contemplation, et c'est ça qui fait sa joie. C'est-à-dire que la joie c'est la contemplation remplie. Elle se réjouit d'elle-même à mesure que sa contemplation se remplit. Et bien entendu ce n'est pas elle qu'elle contemple. En contemplant l'autre chose, elle se remplit d'elle-même. La chose se remplit d'elle-même en contemplant l'autre chose. Et il dit : et non seulement les animaux, non seulement les âmes, vous et moi, nous sommes des contemplations remplies d'elles-mêmes. Nous sommes des petites joies. » Ces choses remplies, même si dans ces paysages cosmiques, elles sont chaos et harmonies, s’entrechoquent et se rassemblent dans un mouvement qu’elles ignorent. Je reviens finalement à l’innocence de mes premières lectures, ces choses et bulles et boules et fines explosions se réjouissent de leur apparition dans la convocation de l’œil et l’esprit de l’inventrice, qui ne fait que se servir d’outils, toujours comme si elle les découvrait, afin de permettre aux choses d’arriver, de la forme d’émerger de la pensée. « Aurora » est un paysage transpercé par une route dont le ciel nocturne est envahi par des cellules étoilées. J’ai visionné des vidéos de performance de bulles de savon géantes sur des plages, grâce à des baguettes que tiennent les magiciens de ces énormes formes informes transparentes et colorés, déformées et réunifiées en de vastes ensembles volatiles et libres. Il y a dans ce jeu d’enfant ancien, tenu là par des adultes en homme-orchestre, quelque chose d’innocent. Et ce jeu n’est pas de l’art, il est divertissant et esthétique, c’est une pratique amateur, résultant d’une petite chimie savonneuse, qui occupe un certain espace, par le vide de sa translucidité. Dans « Polar » les cellules se rassemblent autours d’un pôle, se contractent, comme une assiette palette de couleur, pétales du souvenir d’un monde. « Kaléidoscope» est le résultat d’ « Aurora » en pattern (motif) et sa répétition à l’infini. Le paysage est étendu et en miroir, il perd sa narration avec la route et le ciel, pour ne devenir qu’un ciel, que des constellations kaléidoscopiques. En clin d’œil au jouet, le tube de miroirs qui réfléchit à l'infini et en couleurs la lumière extérieure (du grec, kalos signifie « beau », eidos « image », et skopein « regarder ») La grande dimension de ce projet le définit plus comme un papier peint. Le paysage « Aurora » porte le nom de la déesse de l’aurore (Eôs) des Romains, qui était surnommée la déesse aux doigts de rose : elle va jusqu'au ciel pour annoncer aux dieux comme aux mortels l'arrivée imminente de la lumière dorée du soleil. L’aurore est le moment où le soleil se lève et c’est dans ce cas, le moment où je finalise les œuvres. Pour revenir à Terry Riley, compositeur contemporain américain (un des fondateurs de la musique minimaliste), il jouait, essentiellement en improvisant, de la nuit tombée jusqu'au petit matin suivant. Les doigts de rose se retrouvent aux aurores.
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