J'ai la paresse de m'étendre sur ton costume, me plaindre, me vendre, sur tes plaines. Je vole au-dessus de toi, de tes jeux, de tes lois, tes vignobles, tes cultures. Je plane sur tes landes, tes collines, tes plateaux, je vois tes lacs cachés, tes forêts dissimulées, tes rivières d'argent, ta couleur rouge sur ton bonnet. Ta fierté, ton sourire, ta musique, tes embruns et alizés, tes mélanges si lents, si vastes, si pétrifiés, accrochés aux roches de tes silences. Les sens dessinés à peine vallonnés, les liquides visqueux, les arêtes vives, ton pays s'éternise et je n'en perçois jamais le bout. Vagues.
Je cascade sur ces couleurs, ces communautés, ces enclaves, puis les champs s'ouvrent sur de nouveaux horizons, libres et sauvages, c'est le vent qui emmène les fleuves se jeter dans la mer. Je te tutoie car le ciel et ses nuages m'ont donné ton costume de papier, brillant, mat, satiné, pailleté, sombre, velouté, rêche. Plana. Je te porte et tu m'emportes loin, un voyage sur tes plaines.
22/10/2013
Le vent
Dans un contexte où plus personne ne parle, toute pensée énoncée peut paraître primesautière.
Hors, c'est parce que les peureux et les lâches ont renoncé à penser qu'ils s'offensent qu'un étranger puissent y parvenir sans aucune précaution, et pire, avec une réflexion et une culture, riches et épaisses comme le temps, dont ils n'ont jamais eu vent.
24/10/2013 Décor Je veille sur la pénombre
Une moto tonitruante passe
Elle brise le silence de la nuit
"Ah bon" : dit le perroquet en plein rêve
Puis le silence reprend
Et le décor de la pénombre
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Dominoet ses couleurs flottantes
Domino est le nom que je livre à cette œuvre. Elle représente un magicien qui fait de la peinture. Je ne dirai pas un peintre, car avec ses outils, ses cymbales, cet instrument de musique percutant, il fait de la peinture, il ne la pratique pas, il la fait apparaître par hasard. Ses cymbales trempées dans la couleur sont les pinceaux qui mélangent les couleurs. Son costume et le fond sont la palette et le décor. On peut distinguer parfois des tracés qui s’effacent progressivement dans un ton uni et puis des contours qui cernent d’autres tons, jusqu’à former des motifs de camouflages.
Cette création est issue de plusieurs études historiques. Je laisse flotter des notions lorsque je peins dans ma tête, des histoires qui n'ont pas de couleur, pas d'images, ni de représentation. Je leurs dédie un dessin, je leurs attribue des gammes et des nuances de couleurs. Pour ne pas perdre le rythme de cette pensée dansante, j’ai imaginé des couleurs qui seraient non miscibles entre elles, qui se repoussent et s'épousent, dont j'observais leur sensualité se dessiner avec Domino et ses instruments de musique jetés ensemble, comme des percussions synesthésiques. D'ailleurs, le mot Cymbales vient du grec, kumbalon, signifiant jetés ensemble, de la même origine que le mot Symbole. Si les cymbales sont utilisées dans la musique populaire, des fanfares folkloriques aux marches militaires, et au jazz, elles sont apparues pour la première fois dans l’ancienne Assyrie (le nord de l’actuel Irak), en Egypte et en Judée. On se servait également de petits instruments similaires en Occident. Ce n’est pourtant qu’au 18ème siècle que les grandes cymbales originaires de Turquie sont arrivées en Europe.
Je voyage à travers la création. Et je stationne un moment dans une œuvre avant de repartir. La réalisation est une clôture, mais pas une finitude. Domino me laisse une fenêtre ouverte sur la peinture. Il me semble que la peinture maquille un drame, quelque chose de grave, afin de se sentir vivant.
Ce personnage symbolise une cartographie, un paysage, des plaines et des surfaces agricoles vues de près, vues d'en haut, abstraites et parcellisées. À distance, c'est une figure que l'on distingue en son entier. Il est influencé par la figure du danseur Turc du "Ballet triadique" de 1922, d'Oskar Schlemmer, un artiste dont je redécouvre l'étendue de ses créations. Pionnier de l’interdisciplinarité, il excella dans les arts en tant que peintre, muraliste, sculpteur, chorégraphe, décorateur, danseur, performeur, théoricien, en réalisant lithographies, dessins, peintures, reliefs, décors, costumes, masques et scénographies… Je me sens proche cette indiscipline et cette vision artistique du corps à l'oeuvre, et aussi de cette période très particulière de l'histoire de l'art, qui expérimentait de nouvelles formes de création, et de son enseignement au Bauhaus.
Mais Domino emprunte un autre chemin, pictural et décoratif. C'est ainsi que je lui ai donné ce nom. J’ai remarqué que j'agissais presque comme une dominotière qui travaille un papier marbré, en déposant de l’encre sur l’eau et en tirant celle-ci, afin d’obtenir une déformation et des mélanges aquatiques, nappés sur la surface.
Le mot « domino », serait d'origine italienne, et désigne dès le 15ème siècle les productions d'artisans qui travaillaient le papier et le carton pour en faire des plats de reliure et des boîtes. Ils imprimaient aussi et ils peignaient des feuilles décoratives, des images et des cartes à jouer. Rabelais cite les dominotiers, que des édits de la fin du 16ème siècle associent aux tapissiers. Les dominotiers resteront jusqu'à la fin de leur art, au milieu du 19ème siècle, des artisans polyvalents, fabriquant aussi bien des images et des cartes que des papiers d'une couleur ou des feuilles ornées pour les gardes de livres, les fonds de coffrets ou de meubles et la tapisserie.
L'idée de marchands d'images et fabriquants de couleur et décor est magique. Cette alchimie qui suppose la collection (la culture donc) et le laboratoire (la recherche) réunis, forment à mon sens, les qualités d'un savoir et savoir faire. Après les qualités de la transmission de ceux-ci, c'est bien une autre affaire, et je m'y attache sérieusement depuis quelques années. Dans mon contemporain, je laisse une lucarne visible, mon site Internet, sur mon laboratoire.
Je me suis donc intéressée à la dominoterie. Cette appellation regroupe historiquement tous les papiers décorés. Après avoir été confinée dans un art mineur, la dominoterie connaît son apogée au 18ème siècle lorsque les papiers dominotés sont utilisés pour couvrir les livres.
Aujourd'hui, c'est en découvrant des livres anciens, que j'ai reconsidéré cette ancienne technique, en la dépoussiérant un peu. Cela dit, je ne me lasse pas d'admirer les fruits du hasard sur les feuilles trempées. Il y a un précédent à cette technique qui s'avère être millénaire, on le trouve sous le nom japonais du suminagashi, encre qui flotte sur l'eau en mouvement, considéré comme l'ancêtre de la marbrure. Né au Japon, au 12ème siècle, il reste un art très délicat car les éléments nécessaires à sa fabrication sont très instables. Il diffère de la marbrure occidentale par trois points essentiels : le support sur lequel flottent les encres est de l'eau pure ; les couleurs sont des encres ; le papier est japonais et très absorbant.
Ce magicien qui trouble la surface anime des motifs décoratif. De l’abstraction il devient personnel, il figure et fait tout dégouliner ou glisser vers le décor. C'est un héro pour toutes ces raisons. En référence à la dominoterie et aux maîtres des encres flottantes, il apparaît autodidacte, fière, primesautier. Il défriche lui-même un terrain, sa cartographie, sans s'embarrasser de ce que cela produit mais en drainant dans ses fluides des poètes du passé. Il rend hommage, appelle au souvenir. Et il sait se faire oublier lorsqu'on regarde de plus près, sa figure disparaît. Il fait place à un paysage, une lande.